dimanche 1 mai 2011

L’aventure : La route que nous suivons (part. 5/7)

Désamboués. Une fois de plus, mais où aller ? Concrètement deux options s’offraient à nous : retraiter vers Sabaya pour y passer la nuit, ou poursuivre l’aventure au ralentit dans une nuit serpentine et terreuse. Peut-être les derniers rayons de soleil avaient-ils quelque chose de passablement séduisant, peut-être étaient-ce les restes d’adrénaline qui nous léchaient l’intérieur, peut-être n’étions nous là, au fond, que pour ça… Je propose que nous poursuivions notre odyssée vers Sajama. Nous y arriverons de nuit, mais qu’importe, la compagnie est bonne, les cœurs ragaillardis, d’une voix unanime nous décidons de marcher vers l’inconnu. En route donc, en route comme dans sur la route cette fois !

(Quelque chose va rester en moi de cette partie de l’aventure. Malgré la fatigue, l’inquiétude, voire même un brin de désespoir, nous n’avons pas perdu notre sens de l’humour. Ça m’impressionne. Le cœur est si fort parfois…)

La nuit, heureusement légère, nous tombe dessus plutôt rapidement. Les petits (petits) villages se succèdent, et nous ne manquons pas cette fois, de demander ET de suivre les indications relatives au chemin à prendre pour atteindre Sajama. On s’enfonce tranquillement dans la nuit, creusant toujours plus loin dans l’atoll des phares qui nous précède, bifurquant dans la gauche des y qui nous affrontent les uns après les autres. De jour, le Chili nous saluerait, hautain, du haut de ses pics enneigés. Il nous faudra attendre le lendemain pour sentir sa présence autrement que comme une obscure intimidation. Arrivés à [j’ai oublié le nom de ce trou perdu, genre l’univers], au sortir de l’église, un gentil évangéliste nous montre le chemin à suivre, précisant qu’une rivière nous attend. Il semble plus facile de la franchir à gauche, nous dit-il… Armés de tout le courage de l’insouciance, nous persévérons dans l’opacité néant doute des 21h de notre condition. L’invisible de la nuit rend les obstacles mystérieux, et force le repérage à pieds. Frais éduqués de nos expériences de l’après-midi, notre minutie devient exemplaire et flatte notre progression…

À la criée du salut nous voici
Armés de désespoir






 Photo : Lindsey

 Photo : Lindsey 



Rivière. Peu profonde, mais au fond mou. Large pour notre aveuglement nocturne. Droite, gauche, droite, gauche, nous l’auscultons de notre luminosité artificielle. Que peu de doute se maintien quant à la nuit à la belle étoile que nous nous apprêtons à passer.

au nord du monde nous pensions être à l’abri
loin des carnages de peuples
de ces malheurs de partout qui font la chronique
de ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres
incrédules là même de notre perte
et tenant pour une grâce notre condition

L’air est vif. Au tranchant des étoiles du sud, dans notre voie lactée de sécheresse environnante, nous commençons la collecte du bois qui nous chauffera. Oui mais, pas d’arbres. Un paysage d’arbustes inflammables nous enveloppe et nous suffit. Le campement s’érige. Yeri, emmitouflé, veillera au bord du feu, alors que les quatre autres partagerons la voiture dont les bagages se retrouvent sur le toi. Installés, préparés, changés, petit cidre de glace au bord du feu (c’est mon American Express, je ne par jamais sans lui), nous digérons à coup de franche camaraderie nos aventures du jour.


 Photo : Lindsey 


 Photo : Lindsey 


 Photo : Yeri 



La journée fut longue, la fatigue semble en être vainqueresse. Yeri s’endort. Les autres vont se coucher. J’ai toujours du mal dans la multiplicité des trop pleins à m’endormir… Frontale au front, je quitte pour une promenade.

soudain l’air égratigné de mouches à feu
je fus debout dans le noir du Bouclier
droit à l’écoute comme fil à plomb à la ronde
nous ne serons plus jamais des hommes
si nos yeux se vident de leur mémoire

Rare moment de spiritualité dans ma vie. Ou de philosophie peut-être… La spiritualité n’est-elle pas au fond une philosophie de l’être projetée en soi. Enfin, disons méditatif. Cohen, dans les oreilles, me rappellent ce qu’est être un homme. Mes yeux où ciel et mer s’influencent cristallisent mes joues ignifuges. J’ai une profonde douleur en moi qui me rend heureux. Vous n’êtes pas là. Je vais dormir.

beau désaccord ma vie qui fonde la controverse
je ne récite plus mes leçons de deux mille ans
je me promène je hèle et je cours
cloche-alerte mêlée au paradis obsessionnel
tous les liserons des désirs fleurissent
dans mon sang tourne-vents
venez tous ceux qui oscillent à l’encre des soirs
levons nos visages de terre cuite et nos mains
de cuir repoussé burinés d’histoire et de travaux

La nuit fut frissonnante. De pieds froids en travers de spleeping, l’inconfort nous soude encore davantage. Je suis bien dans mes plumes d’oie, la chaleur n’est absente que de mon nez, et n’eut été de ce trou de siège sur lequel je repose, j’eus bien dormi. Moi. Les deux heures deux heures trente de notre nuit nous jettent dans le levé du soleil. Un poème glisse à flanc de montagne, tout illuminé d’existence, porteur d’éternité. Notre dégel est dur mais beau.


 Photo : Lindsey 


 Photo : Lindsey 


 Photo : Lindsey 


 Photo : Karl 


 Photo : Lindsey 





nous avançons nous avançons le front comme un delta
« Good-bye, fraewell! »
nous reviendrons nous aurons à dos le passé
et d’avoir pris en haine toutes les servitudes
nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir

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