jeudi 7 avril 2011

Cinéphilie : la suite


J’admets avoir eu du plaisir à rédiger un aparté cinéphilistique (cinéphilien ?). J’ai conséquemment pris la décision de rédiger un court/moyen/long (c’est selon) billet pour chaque film que j’allais visionner. Pour ceux que ça emmerde, je n’ai apporté qu’une dizaine de films, alors ne vous inquiétez pas.

Aujourd’hui : The Departed.

(c’est un peu long, je m’en excuse, j’avais envie d’intellectualité sur autre chose que les Indiens du XIXe siècle bolivien)

Remake d’un film hongkongais de 2002 (Infernal Affairs, il en existe en fait trois ; d’ailleurs, ceux qui affirment que la version originale est meilleure sont soit débiles mentaux ou encore débiles mentaux), The Departed est le film qui valu à Martin Scorsese son premier Oscar de meilleur réalisation (ceci est assez ridicule si on considère la filmographie du dit monsieur : pas en nomination pour Taxi driver, c’est J.G. Avidsen qui l’emporte pour Rocky ; défaite avec Raging Bull devant Ordinary People de R. Redford ; et comble du ridicule il ne gagne pas avec Goodfellas, c’est plutôt, oui, oui, Kevin Kostner qui l’emporte avec Dances with Wolfes !). Je crois, quand j’y réfléchi un peu, qu’il s’agit de mon film de polices préféré. Pas forcément qu’il s’agisse du meilleur film policier, mais mon préféré, on s’entend.

Je pourrais vous parler de toutes sortes de choses liées à ce film. De l’excellente chanson des Dropkick Murphys. De Jack Nicholson qui a refusé de porter une casquette des Red Sox pour ne pas trahir son allégeance aux Yankees (merci Wikipedia). De son personnage inspiré de James J. Bulger, un chef de la pègre irlandaise bostonienne qui s’est avéré être un informateur du FBI pendant près de 30 ans (scandale, scandale) ; ou encore de la figure du père dans la culture irlando-américaine (je reviendrai, par ailleurs, peut-être, sur ce trait d’union si typique du nationalisme américain, ce hyphen, dont parle A. Appadurai…). Je vais plutôt aborder l’homosexualité refoulée de Collin Sullivan, personnage joué par Matt Damon.

Dès les premières scènes du film, lors du match de rugby entre policiers et pompiers, Sullivan manifeste sont hostilité vis-à-vis de ses adversaires en les traitant de fofis (queers et faggots sont ses mots, il me semble), insultes (à son sens) qu’il réitère immédiatement dans une conversation avec ses coéquipiers. Sullivan affiche une attitude très machiste/séductrice (un tigere dans la culture latina) vis-à-vis des femmes tout au long du film, ce qui apparaît vraiment comme une posture/un discours compensatoire pour son incapacité à avoir des relations sexuelles épanouies avec sa conjointe (sujet qu’il refuse obstinément d’aborder avec elle). Ajoutez son malaise évident devant la pornographie hétérosexuelle (on pourrait débattre à savoir si son malaise vient de la pornographie ou de son aspect hétérosexuel, mais bon), son insistance sur la virilité à outrance et son efficacité sexuelle auprès des femmes, et surtout le fait que tout le film repose sur le mensonge (« This implies lying, and you know I’m pretty good at that » ) et l’identité double, et vous avez en Sullivan un parfait homosexuel refoulé.

Il est assez intéressant que Scorsese et W. Mohanan, le scénariste, aient choisi d’insérer cette composante dans le film (qui n’est aucunement présente dans la version originale). En fait, cette homosexualité refoulée/homophobie affichée n’apporte absolument rien à l’histoire en elle-même. Vous enlevez cette dimension et rien, mais absolument rien, ne change dans la trame narrative et dans l’intrigue. En fait, avec cette dimension supplémentaire, Scorsese et Mohanan viennent prendre à contre-pied la tendance hollywoodienne à insérer des personnages homosexuels dans les films Parce qu’ils sont homosexuels. Dans le cinéma hollywoodien (et je dirais dans le cinéma en général), si on insère un personnage homosexuel – homme ou femme, épanoui ou refoulé – c’est parce que sont homosexualité devient un enjeux du film (souvent périphérique, mais tout de même un enjeux). Ici, l’homosexualité du personnage possède une fonction, qui ne touche pas à l’orientation sexuelle en soi.

Cette caractéristique du personnage (comme la vulnérabilité du personnage de William Costigan/Leonardo Di Caprio, la folie de Frank Costelo/Jack Nicholson, etc.) a pour fonction d’ajouter un niveau de « double » au personnage. On a le policier infiltré chez les bandits (bouillant d’angoisse et de stress, mais placide comme le lac à l’extérieur : « ..but my hand is still. It never shakes. »), le chef de la pègre informateur du FBI (complètement décadent en tout domaine, mais outré par le comportement allégué des prêtres), la psy qui recherche l’honnêteté, mais qui ment (qui sait ce qu’elle veut, mais choisi l’opposé), etc. Double et redouble. Là, chez le bandit infiltrant les policiers, on a en plus le tigere homosexuel ! En ajoutant ce niveau de complexité à ce personnage, non seulement le film gagne-t-il en symbolique (celle du double), mais il contribue (minimalement certes) à déconstruire une des catégorie les plus stéréotypique du cinéma actuel. Sullivan est un homme avant que d’être homosexuel, il est un bandit avant d’être gai, il est un menteur, aussi, avant. Dans le cinéma hollywoodien des années 1940 et 1950, voire même 1960, un personnage afro-américain avait pour fonction d’être noir et non d’être d'abord un individu qui, en plus, par le hasard de l’histoire s’avérait noir. Aujourd’hui, après l’image de l’homme noir (très peu de femmes), Hollywood reproduit une idée primordialiste de l’homosexualité chez l’individu. À mon sens, un film comme The Departed aide à sortir le cinéma grand public de cet essentialisme.

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