lundi 25 avril 2011

L’aventure : Oruro la déchue (part. 1/7)



Au volant du 4X4 Nissan de location, Yeri avale les rues-précipices de La Paz. À ses côtés, Karl, copilote de service, tente, GPS en main, de démêler le labyrinthique mystère du chemin vers El Alto et au-delà. Témoins impuissants de cette aventure embryonnaire, Andrea, Lindsey et moi-même, assistons depuis le siège arrière au spectacle qu’offre les derniers rayons de soleil sur la capitale. Le coffre est plein de vêtements, couvertes, nourriture, alcool et surtout environ 40 litres d’eau. L’éclectique musique nous enveloppe déjà. Nous sommes jeudi, il est 18h20, Oruro[1] nous attend dans le froid de l’Altiplano.
Presque seule autoroute de Bolivie, la route que nous empruntons est constituée de deux voies asphaltées qui s’opposent. Elle relie, entre autres, La Paz (via El Alto) à Oruro. Accommodant voitures et 4X4 autant qu’autobus, micros et autres camions de marchandises, cette route vallonnée et sinueuse s’avère le site de dangereux jeux de dépassements plus ou moins calculés. La nuit tombe alors que nous sortons de l’étendue banlieue aymara paceña. Dans les phares qui se dévisagent, Yeri joue du klaxon en dépassant les micros qui, moteurs et charge obligent, ne roulent qu’à la moitié de la vitesse recommandée. Il est un peu intimidé à l’idée de revoir Oruro qu’il n’a pas visitée depuis près de six ans, lui qui l’avait étreint pendant deux ans alors membre volontaire des Peace corps travaillant sur un projet de maisons vertes et de serres dans l’arrière-pays orureño.
Nous sommes attendu là-bas par Willi, un ami de Yeri. Géologue d’une cinquantaine d’année, ancien ingénieur minier, Willi est professeur à l’université d’Oruro et possède une petite auberge qu’il fait rouler à temps partiel, principalement lors des festivités liées au carnaval.[2] Prenant justement du repos après le dit carnaval, Willi a accepté, malgré sa fermeture temporaire, d’ouvrir les portes de son auberge pour nous accueillir l’espace d’une nuit. 


Après quelque détours dans une Oruro quelque peu transformée depuis le dernier séjour de Yeri, nous arrivons finalement vers 22h chez Willi. Après être aller souper, Willi nous offre un verre et nous discutons. Politique évidemment. La conversation oscille de l’espagnol à l’anglais au spanglish. Si Yeri est, par ses origines mexicaines, parfaitement bilingue tout comme Andrea qui a passé les 15 premières années de sa vie au Guatemala avant d’émigrer au Etats-Unis, Lindsey et Karl sont encore bien restreint dans leur compréhension de la langue de Cervantès (l’espagnol d’aujourd’hui est bien différent de celui utilisé par l’auteur du Quichotte, j’en conviens, mais bon, maintenons l’expression). Ce n’est pas vraiment problématique pour Willi qui parle espagnol, aymara, anglais (il a étudié en Angleterre), français (il a vécu en France et en Suisse, et collaboré avec des ingénieurs québécois en Bolivie) ainsi que russe (pour avoir travailler en Russie) et, oui, oui, finnois (il vécu en Finlande pour environ cinq ans)… Un petit (gros) cognac/scotch plus tard, on se despedi vers 1h15, notre réveille étant prévu pour 6h-6h30 vu la route qui nous attend. Willi insiste pour que nous prenions le café ensemble le lendemain malgré l’heure hâtive, ce que nous ferons.
Nous quittons l’auberge vers 7h30 avec la promesse de se revoir et nous arrêtons au marché (quand j’écris marché, pensez marché public et non épicerie) pour déjeuner avec le meilleur apí[3] de Bolivie, selon Yeri et la réputation. 


Cette pose déjeuner étant plutôt rapide, nous nous préparons à quitter Oruro vers 8h00, avec pour seul tâche restante, faire le plein (plus réserves, compte tenu de l’isolement vers lequel nous nous dirigeons)… Trois stations services à sec et une attente de 45 minutes plus tard[4], nous quittons Oruro en direction du Salar de Coipaca, puis de Sajama, l’excitation étant palpable, nos sourires écrasant la fatigue et témoignant de l’enthousiasme projeté par tous pour ce week-end qui s’avère des plus prometteur.





[1] Oruro fut, à partir du XVIIe siècle, mais surtout au XVIIIe siècle, avec le déclin de Potosí, une des villes les plus riches des Amériques. Gigantesque centre minier, la ville bénéficia de ses gisements intarissables d’étain et du fort prix du minerai sur le marché mondial pour se développer et enrichir certains magnats comme Patiño, un des hommes les plus riches de la planète à l’époque. Avec la chute des prix et l’épuisement progressif des ressources, la ville entra tranquillement en déclin, laissant un héritage de profondes inégalités et de pollution généralisée du sol et des eaux, causes d’une exploitation outrancière de la population et du sous-sol.
[2] Le carnaval d’Oruro qui se tient autour de la fin mars/début avril, s’étend sur plusieurs jours et regroupe jusqu’à 40 000 participants, musiciens et danseurs, qui défilent dans les rues de la ville. C’est l’occasion de chanter, danser et boire (jusqu’à tomber sans connaissance…) et de perpétuer les traditions folkloriques aymaras (la ville seule, compte une population d’environ 90 % d’autochtones). À l’année longue, les participants, regroupés sous forme de groupes ou d’équipes, se préparent pour le carnaval. Ils pratiquent de deux à trois fois par semaine pendant environ dix mois et investissent des centaines de dollars (ce qui est gargantuesque en Bolivie) pour les costumes et accessoires nécessaires aux cérémonies. 
[3] L’apí est une boisson chaude plutôt épaisse à base de maïs mauve (variété plutôt sucrée et amidonnée) et assaisonnée de cannelle et de girofle qui rappelle un hybride entre la chicha morada et la mazamora morada (boisson et dessert traditionnels du Pérou). Il est souvent servi avec une pâte frite, farcie ou non, sur laquelle le sucre en poudre est généralement le bienvenu.
[4] La Bolivie subventionne pantagruellement le carburant. Avec des coûts pour le gouvernement avoisinant le milliard de dollars annuellement (Un shit load d’argent dans le contexte bolivien). Evo a tenté de remédier à la situation au tournant de l’année en supprimant cette subvention au lendemain de noël. L’annonce fût faite à la télévision et à la radio nationale le 26 décembre par le vice-président (il semble que pour toutes les mauvaises nouvelles, c’est le VP qui fait l’annonce…). Générant instantanément la grogne populaire et une hyper-inflation sur tous les produits, du lait au sucre au ciment, Morales annonça le retour des subventions au carburant au mois de janvier, spécifiant toutefois que de telles subventions généraient la stagnation du développement du pays. Ces subventions (jumelé aux bas prix sur le pétrole assurés par une entente avec le gouvernement ami d’Hugo Chavez) permettent de maintenir le prix du gallons (quatre litres) à environ 2,5 Bs., soit environ 8,5 ¢ du litre. Ce prix ridicule est un incitatif important à la contrebande via le Pérou et le Chili. Beaucoup d’individus viennent (en camion, voiture, vélo) remplir des bidons d’essence qu’ils transportent de l’autre côté de la frontière et qu’ils revendent pour un fort profit. Cette situation crée une pénurie partout au pays sauf à La Paz, les réserves périphériques étant systématiquement drainées vers la capitale…  

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