mercredi 13 avril 2011

Pourquoi marche-je vers le bruit des bombes ?

Lumière matinale. Silence. Il y a comme une odeur d’endormissement malgré le soleil qui s’assume de plus en plus plein. « El Diario, El Diario… » On entend ses propres pas sur le pavé. Au loin, de vieux moteurs continuent de s’épuiser, harmonique dans l’agonie des essieux. « El Diario, El Diario… » Pas de klaxons, pas de cris, et pourtant la même foule. La Paz s’emmitoufle dans le cliché de la ville endormie. Somnambule, peut-être. « El Diario, El Diario… » Trois matés, un Red Bull, j’essaie de survive à la tranquillité. Pas habitué d’être auprès de toi à cette heure-ci. « El Diario, El Diario… » Il n’y a que le vendeur de journaux pour nous rappeler que le réveil approche…

La dynamite retentie pour la première fois vers 9h30. Ou peut-être 10h. Sursaut malgré l’habitude. Je ne snooze pas. Ce réveille-matin là ne s’arrête pas. Les vibrations émanant de la rue à hauteur de sous-sol laissent croire à une foule plus nombreuse ou plus proche, ou les deux. Pas de choix possible, je replonge dans la clarté hivernale pour me rendre compte du déploiement : Mercado, Potosí, Comercio… Une manifestation ? Non. Des manifestations. Un objectif commun – la hausse des salaires – mais plusieurs marches. Oubliez le front commun. À moins que ces manifestions ne relève de l’hydre… À l’horizon, la dynamite joue du free jazz dans l’air du temps. Le ciel est clair, bleu, comme un ciel bleu, clair, et les nuages se forment au niveau des rues. Celles que l’on prend.

Je marche vers chez moi, vers internet en fait, vers écrire, je marche vers l’Est. Je crois. Dans les trottoirs entonnoirs de la Plaza del Estudiante le bruit des bombes en écho, gros pétards dans l’acoustique des gratte-ciels. Ça résonne dans ma cage thoracique, la basse d’une civique-montée-de-lavalois-calotte-à-l’envers exposant la révolution. Ça résonne dans ma cage thoracique. Où est-ce mon cœur ? Non, je n’ai pas peur. Il fait trop beau.

J’arrive là où ça pette. Fort. De la 6 de Agosto on se jette sur l’Aniceto Arce. La parallèle en plateaux de ces deux rues me place dans un plongée/contre-plongée parfait. Photo. Je descend vers la foule me rappelant mon invulnérabilité – je suis jeune, je suis amoureux.  Photo. Les explosions me font trembler légèrement. Je remonte. Je suis peut-être invulnérable, mais je ne suis pas con. Je ne suis plus con, j’ai déjà donné.



À la 20 de Octubre, un groupe de manifestants. Mineurs et femmes de mineurs. Ils ont la montagne gravée dans le cuire de leur visage. Oui, leur visage, uni, celui de l’injustice depuis trop longtemps combattue. Un visage de soleil de vent de froid. Un visage de crevasses belles comme la mort qui attend. Un visage de dents en or, en argent. Un visage battu par la vie et souriant. Un visage tanné. Visage mat. Là.  Ils ont les habits traditionnels – pas folkloriques, traditionnels – qui se sont figés quelque part au tournant des XIXe et XXe siècle. Plus la dynamite. C’est leur American Express, ils ne partent jamais sans elles. Un drôle de sentiment m’envahie. Je suis sincèrement ému, tout en ayant peur d’être essentialisant. Des fois, je serais mieux sans tous ces conditionnements intellectuels…

J’arrive. Il reste en sourdine la rumeur de lointains pétards. L’après-midi et sa tranquillité s’invitent à ma table. Tout est plus calme. Demain renaîtra la ville dans son bruit et sa fureur. Et après-demain. Et hier. Et avant. Et après. J’aime La Paz.  

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